LE FOLKLORE DANS NOTRE REGION

Par L'abbé TOUSSAINT Joseph

Dans les pages suivantes, nous avons recueilli quelques éléments folkloriques. Ces croyances et ces coutumes ont trait principalement aux anciennes communes rurales, englobées présentement dans la partie méridionale de la nouvelle entité gembloutoise. On nous excusera d'autant plus volontiers de les signaler qu'elles sont en voie de disparition, depuis la fin de la première guerre mondiale. Leur souvenir tend même à s'estomper définitivement.

I. LA VIE MATERIELLE

La maison

La maison était orientée de préférence vers le midi. On la construisait au moyen de torchis, de briques et de pierres. Son toit était de chaume, parfois d'ardoises ou de tuiles.
Dans les diverses pièces, le pavement, quand il existait, était coloré, souvent en rouge ou en bleu. Une couche de chaux blanchissait les murs. Les plafonds présentaient des voussures ou ils laissaient apparaître de grosses poutres.
Les meubles étaient ornés de peu de sculpture. Parfois, ils offraient d'épaisses moulures. Parmi eux se distinguaient le vaisselier (la «dresse»), l'étagère (l'»archelle»), l'égouttoir, la grande horloge en chêne et le fauteuil. Les chaises possédaient un siège en paille et un dossier droit en bois. Le crucifix était flanqué de deux chandeliers. A l'entrée de la chambre à coucher se trouvait suspendu un bénitier, portant une branche de buis bénit. Dans cette pièce, ou sur le palier, un coffre recevait les habits.
La salle de séjour était garnie d'une cheminée à l'italienne, ornée d'un rideau froncé. On y pendait la crémaillère (le «crama»). On y allumait le feu en frottant une pierre contre une autre.
L'éclairage se pratiquait à l'huile.

La nourriture

Le pain était généralement de seigle. On le couvrait de beurre, de marmelade de poires ou de fromage (surtout de fromage blanc, la «maquée»), le tout fabriqué à la maison. On aimait aussi les crêpes, les chaussons aux fruits (les «gosettes») et les pommes entières cuites au four dans une enveloppe de pâte (les «rombosses»). Les ménagères rendaient la soupe fort épaisse.
Comme viande, elles affectionnaient la ratatouille et le hachis de porc. Elles suspendaient d'ailleurs des morceaux de cet animal à des crochets fixés au plafond. Quand ils étaient séchés, elles les plaçaient dans un coffre au grenier.
Comme salade, elles présentaient souvent du cresson. Elles allaient en cueillir près de la fontaine Saint-François, à Golzinnes, à proximité de la maison du garde.
Elles s'alimentaient en eau, soit au puits communal, soit à un puits de quelque particulier. Elles fabriquaient le vinaigre et la bière, pour laquelle elles cultivaient le houblon dans le jardin. Elles pilaient le sel marin dans un mortier.

Le vêtement

Les hommes portaient le sarrau et le foulard, qu'ils salissaient rapidement, en mâchant du tabac ou en prisant beaucoup. Pour le travail, ils se coiffaient d'un bonnet surmonté d'une floche. Quand ils sortaient de chez eux, ils adoptaient une calotte de soie, ou même un petit haut de forme.
Les femmes avaient choisi la jupe (la «cotte»), la jaquette ou une blouse garnie de petits volants. Pour quitter la maison, elles se couvraient d'une capeline, d'une pelisse (en coton ou en laine), voire d'un châle. Elles emprisonnaient leurs cheveux dans un filet. Elles se coiffaient d'un bonnet (de dentelle noire pour les fermières). Elles portaient soit des sabots, soit des chaussons.

II. LA VIE FAMILIALE

La naissance


Voulait-on savoir si beaucoup d'enfants allaient naître dans l'année ? On consultait la récolte des noisettes : son abondance était le signe de l'accroissement des familles.
Il était entendu que les enfants provenaient des choux rouges épanouis dans le jardin de la cure. Pour les trouver et les vendre, les accoucheuses rivalisaient de zèle. Parfois même elles se battaient entre elles. Aussi, quand un enfant désirait un petit frère ou une petite soeur, allait-il demander à une sage-femme d'apporter le bébé de son choix à la maison.
Le sexe de l'enfant était déterminé, croyait-on, par la phase lunaire au cours de laquelle se réalisait la conception. Durant la nouvelle lune apparaissaient les filles. Les garçons venaient lors de la pleine lune. Si le bébé naissait quand l'astre nocturne reprenait sa course, il annonçait que le rejeton suivant serait d'un autre sexe que lui.
L'accouchement avait-il été douloureux, on disait dans le pays que l'enfant avait coûté cher.
Jusqu'au baptême, on ne montrait pas le bébé. Mais après la cérémonie liturgique, on pouvait le contempler à l'aise. Au sortir de l'église, le parrain jetait de la petite monnaie et la marraine offrait des sucreries aux enfants rassemblés devant le parvis, tandis que le sacristain faisait sonner les cloches autant de fois qu'il avait reçu de francs.
Quant à la mère, elle restait à la maison jusqu'aux relevailles. Lorsque le prêtre avait prononcé sur elle les oraisons prévues pour cette cérémonie, elle accomplissait le tour de sa parenté.

L'enfance

C'était placés dans un petit chariot confectionné à cet usage que les enfants apprenaient à marcher. Lorsqu'ils pouvaient se passer de cette protection, la maman leur mettait sur le front un bourrelet, destiné à amortir le choc en cas de chute.
Lorsqu'ils avaient grandi, il leur fallait peu de choses pour s'amuser. Leurs joujoux ne coûtaient pas cher et servaient jusqu'à l'usure.
Les garçons jouaient aux billes, parfois même à la toupie. Ils jetaient des rondelles dans une tige de fer, fichée dans le chemin. Le soir, pour figurer une tête, ils vidaient une betterave, la perçaient aux endroits où devaient s'apercevoir les yeux et la bouche. Puis, ils y plaçaient une chandelle allumée et exposaient le résultat de leur ingéniosité sur la route ou dans une haie. Ils s'imaginaient ainsi effrayer les passants. Mais ils se livraient aussi à des distractions encore moins innocentes. Il existait à ce propos un certain jeu de canard, que désapprouverait certainement de nos jours la société protectrice des animaux. Pensez donc ! Ils passaient le cou d'un canard dans la fente d'un piquet. Ils lançaient des bâtons après lui. Ils proclamaient vainqueur celui qui coupait la tête de l'animal. Ils lui offraient la bête en récompense. Empressons-nous pourtant de dire que dans certaines localités, la victime était occise, avant d'être livrée à la cruauté des garnements.
Les filles, elles, jouaient à la poupée ou à la corde. Elles rivalisaient entre elles aux «osselets» ou au «carré», variantes de la marelle. Tout comme les garçons d'ailleurs, elles s'adonnaient au «pigeon vole». Quand une annonce leur était faite, elles ne devaient lever le doigt que si la chose proposée à leur rapide examen possédait des ailes.
Les enfants ne fréquentaient guère l'école au-delà de leur première communion solennelle. Souvent, ils s'en abstenaient, pour aider leur parents aux champs ou dans le ménage. La culture intellectuelle était d'ailleurs le moindre souci du monde rural de l'époque.
Bien entendu, on parlait aux enfants du petit Jésus, mais aussi de saint Nicolas, du père fouettard et du loup-garou. On les faisait ainsi entrer dans le monde du merveilleux, duquel d'ailleurs ils ne tardaient pas à sortir grâce à l'indiscrétion de leurs aînés ...

Le travail

C'était souvent vers l'âge de douze ou treize ans que les jeunes garçons étaient mis définitivement au travail. Etaient-ils en service, ils obtenaient parfois des congés : à cette occasion, leurs patrons les gratifiaient de petits pains de froment (les «michots») pour offrir à leurs parents.
La journée de labeur était bien longue. Elle débutait à 5 h 1/2. Elle était interrompue par le déjeuner de 8 h, le dîner de midi, le goûter de 16 h. Elle ne cessait qu'à 19 h, quand on se mettait à table pour le souper.
Les domestiques et les servantes étaient engagés à la Toussaint. On cultivait le froment, l'escourgeon, le seigle, l'avoine, la pomme de terre, la betterave fourragère (la sucrière également, à partir de la fin due XIX s.), le lin et la camomille, dont la paille très fine était utilisée pour la confection de balais.
La mesure du grain était le setier (le «sti»). Il équivalait à environ 10 kg. Pour égaliser la surface, on la râclait au moyen d'un bois (l'»escoupe»). Le van qu'on utilisait dans la grange était en paille et présentait la forme d'une écaille d'huître. On remuait aussi le tas de grain au moyen d'un instrument approprié.
Les femmes se rendaient aux marchés de Gembloux ou de Namur, ainsi qu'aux foires de Gembloux, de Fleurus et de Fosses. Pour porter leurs marchandises, elles plaçaient sur la tête un petit bourrelet, où elles posaient leurs paniers.

Les divertissements

En dehors des fêtes, dont nous aurons à parler, les divertissements étaient rares et simples.
Les hommes jouaient volontiers soit aux quilles (où la boule est roulée vers le but), soit au «bouloir» (dans lequel la boule est jetée). Ils aimaient le jeu des fers, consistant à lancer de petits cerceaux dans une broche. Ils tiraient à l'arc. Mais leurs préférences allaient aux cartes.
Durant les longues soirées d'hiver, on se réunissait, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre. On économisait ainsi l'huile de lampe et le combustible. C'était aller «à la chiche». Pendant que la maîtresse de maison et parfois d'autres femmes filaient, les hommes se racontaient des historiettes, organisaient des farces, jouaient aux cartes. Lorsque la veillée se passait chez les parents, on travaillait de concert à filer, à confectionner des mannes, des ruches, des balais ... Toujours était éprouvée cette joie, trop oubliée de nos jours, de se trouver ensemble, cordialement unis comme dans une famille.
D'autre part, les grands déplacements étaient rares. Pour les effectuer, on utilisait de préférence le cabriolet.
Notons ici une coutume existant à l'occasion d'un mariage : on tirait des coups de fusil près de la maison des nouveaux époux!

La mort

Lorsque quelqu'un était passé de vie à trépas, il était exposé sur un lit de parade, le corps déjà entouré du linceul, mais la figure dégagée. Près de lui brûlait une veilleuse.
Tardait-il à prendre la rigidité cadavérique, c'était, assurait-on, qu'il attendait la venue d'un parent avant de se raidir. Passait-il le dimanche sans avoir été enterré, il annonçait de la sorte qu'un autre décès allait survenir dans la famille au cours des six semaines suivantes.
Les voisins étaient invités aux veillées funèbres. Les uns restaient jusqu'à minuit. Les autres les remplaçaient et demeuraient jusqu'à l'aurore. Toutes les heures étaient récitées des prières pour le repos de l'âme du défunt. Entre-temps, on parlait, on buvait du café ou de l'alcool.
Dans le cercueil étaient placés le missel et le chapelet du trépassé. Si le défunt était jeune, on lui coupait une mèche de cheveux, gardée en souvenir de lui.
Il fut une époque où la bière contenant la dépouille mortelle d'une jeune fille était portée à l'église par des jeunes gens ; par des demoiselles, si elle renfermait le corps d'un garçon. Parfois, elle était posée sur deux perches liées au moyen de cordes. Les voisins soutenaient ce brancard sur leurs épaules.
Quand l'enterrement partait des Isnes, une halte avait lieu sur le chemin de Bossière (le «bâti» des Morts), au vieux moulin de Golzinnes.
La paillasse du défunt était brûlée dans un champs. Les passants s'arrêtaient près de cet endroit. Ils se signaient et priaient quelques instants.
A la suite de la perte d'un proche parent, le deuil se portait pendant un an et six semaines.

III. LA VIE SOCIALE

Les fêtes locales

Les fêtes locales formaient comme une halte joyeuse et bienfaisante sur le rude chemin de la vie. Pour les travailleurs de tout genre, cultivateurs, artisans, ouvriers, domestiques, elles constituaient un dédommagement par l'abondance dans les repas et la variété des attractions. Elles contrastaient avec la frugalité et la monotonie d'une existence, dans laquelle un dur labeur obtenait la meilleure place. Elles étaient d'autant plus attendues et appréciées qu'on ignorait les congés payés et que la plupart des gens n'avaient jamais l'occasion de partir loin de chez eux.
Les festivités étaient organisées par la jeunesse locale. Ces célibataires enthousiastes élisaient un capitaine. Ils arboraient une cocarde. Ils collectaient de porte en porte, pour subvenir aux frais de la kermesse. Jusque dans les villages voisins, ils placardaient leurs programmes et lançaient leurs invitations.
Parmi les attractions il y en avait une qui remportait toujours un gros succès. Elle était le clou du spectacle à Bossière. Il s'agissait d'un cheval de carton, tout habillé, dans lequel se dissimulait un homme. On l'appelait le cheval Godin, parce que le porteur se tenait dans un petit chariot de bois d'osier, semblable à celui dans lequel on plaçait un bébé pour lui apprendre à marcher, et que dans le langage du terroir on appelait un «godin». Je vous laisse deviner toutes les cabrioles auxquelles le pseudo-animal se livrait, toutes les facéties qu'il devait subir...
Mais la meilleure partie de la fête se passait dans les maisons, préalablement blanchies pour y accueillir la famille au grand complet. La joyeuse bombance n'en finissait pas. Diverses sortes de viandes figuraient au menu : non seulement de la volaille et du porc, les mets ordinaires de l'année, mais de l'agneau, du cheval, et Dieu sait quoi encore. Les tartes, préparées par les ménagères pendant plusieurs jours, faisaient les délices à tous les repas.
On dansait ferme aussi. La première sauterie effectuée sur la place communale revenait au capitaine des festivités. La jeunesse vendait alors des rubans, que tout le monde s'empressait d'arborer. La fanfare jouait des quadrilles, des polkas, des mazurkas, des airs à la mode. Jusqu'à trois heures du matin, les cafés ne désemplissaient pas de buveurs et de valseurs.
Le mardi était la fête des vieilles gens. A cette occasion, c'étaient les femmes qui invitaient à la danse.
Le mercredi, quand ce n'était pas le mardi à 24 h, on enterrait la fête. Solennellement, on enfouissait une tarte, symbole des réjouissances passées et futures...

Les fêtes de l'année

Mais tout au long de l'année, des fêtes, ou du moins des coutumes amusantes, secouaient la monotonie quotidienne.
Pour le 1 er janvier, les ménagères cuisaient des galettes, grosses et petites. Elles le faisaient en énorme quantité. Ainsi, quel que fût le nombre impressionnant des invités et des visiteurs inattendus, elles en posséderaient encore à la fête des Rois, le 6 janvier. Malheur, au reste, à celles qui en étaient alors dépourvues : il leur fallait payer un litre de genièvre à la communauté. Les voeux qu'on s'adressait pour l'an neuf étaient exprimés dans une formule consacrée : «Je vous souhaite bonne année, parfaite santé et toute sorte de «boneûr» ! Les enfants présentaient de petites galettes - des «bounants» - à leur parrains et marraines. Ils en recevaient des étrennes.
A l'Epiphanie, le 6 janvier, on «tirait les Rois». Divers procédés étaient en usage à cet effet. Tantôt le roi était désigné par la noisette ou la fève dissimulée dans un morceau de gâteau : tantôt par le premier roi sorti d'un jeu de cartes. Dans ce dernier cas, le gagnant devait offrir un verre d'alcool à ses compagnons.
A la Chandeleur (2 février), le curé bénissait des cierges. On les allumait durant l'orage ou à la mort d'un membre de la famille. Le sacristain procurait de petites croix de cire, qu'on plaçait sur les portes et les cheminées.
Le mardi gras, les enfants se présentaient dans les fermes. Ils y recevaient du lard, de la farine ou quelque autre denrée alimentaire.
Le grand feu s'allumait le premier dimanche de carême, ou à la mi-carême. Il mettait fin aux soirées passées les uns chez les autres. La veille, certaines personnes étaient enfermées. Elles ne retrouvaient la liberté qu'après avoir promis de fournir le lendemain des crêpes. Les enfants se chargeaient de récolter de maison en maison du bois et de la paille. Un tas de ces combustibles était élevé sur les hauteurs ou aux quatre coins du village. Quand il était bien en flammes, on dansait autour, le visage masqué. On racontait que c'était grâce à de grands feux que la Vierge Marie avait pu retrouver Jésus au Temple, lorsque l'Enfant divin y était resté après la Pâque.
Le premier dimanche de carême, les parents recevaient leurs enfants à dîner.
Le 1er avril et parfois aussi le 1er mai se multipliaient les farces. Des cuvelles, des tables apparaissaient suspendues dans les arbres. Des hommes en paille campaient sur le toit des maisons abritant des filles à marier. La nuit, des fantômes déambulaient, enveloppés d'un drap de lit ...
De nombreuses coutumes régnaient au cours de la semaine sainte.
Le dimanche des Rameaux, le curé bénissait le buis. On en ornait les champs, les tombes, les étables. En cas d'orage, on s'en servait pour asperger la maison d'eau bénite ; ou bien on en brûlait sur le couvercle du poêle et on en jetait les cendres dans le feu.
Le mercredi, assurait-on, les cloches partaient pour Rome. La preuve ? Elles n'annonçaient plus les offices. Des crécelles assumaient leurs fonctions, maniées à coeur joie par les servants de messe.
Le jeudi et le vendredi se plantaient les pommes de terre. Mises en terre ces jours-là, ne seraient-elles pas protégées de toute gelée ?
Quant aux enfants, ils plaçaient le jeudi saint du buis dans les grandes plantes du jardin. Ils construisaient aussi des nids de foin. Ils espéraient ainsi attirer l'attention des cloches à leur retour de Rome et en obtenir des oeufs.
Le vendredi saint, les ménagères ne lavaient pas, mais elles cuisaient du pain. L'origine de cette coutume ? Une légende, racontée d'ailleurs de diverses manières. En voici une version. Jésus accomplissait son chemin de la croix. Il demanda à boire à une femme occupée à la lessive. Il n'en reçut que de l'eau savonneuse. Il sollicita aussi un morceau de pain d'une autre femme, revenant du four. Il en obtint une belle tranche. De là vient que Dieu bénit la femme qui cuit du pain le vendredi saint, mais maudit celle qui lessive. Une autre version de la légende met en scène la Sainte Vierge, mais pour aboutir à la même conclusion. Voyageant un vendredi saint, Marie avait demandé à boire à des ménagères occupées à la lessive : elle fut par ces méchantes femmes aspergée d'eau sale. Plus loin, elle demanda à une autre femme cuisant du pain de pouvoir se sécher près du four : sa requête fut accueillie avec empressement.
Le samedi saint, les cloches regagnaient leur clocher, non sans laisser tomber des oeufs en cours de route. Au moment voulu, les enfants allaient chercher ces dons. Ils s'extasiaient sur leur beau coloris. Le même jour, les servants de messe faisaient le tour des maisons de la paroisse. Ils y obtenaient de l'argent et des oeufs. Ces oeufs, ils les plaçaient dans une cassette suspendue dans le corridor. Ils les revendaient pour se constituer de l'argent de poche.
A la veille de l'Ascension se plantaient les haricots.
Mais le phénomène le plus étonnant de l'année se présentait à la Fête-Dieu. Ce jour-là, il fallait regarder le soleil à son lever : la Trinité elle-même se manifestait dans l'astre !
La clôture de la moisson donnait lieu à des réjouissances particulières. Les fermiers rivalisaient de zèle pour avoir fini les premiers. Si tôt garni le dernier chariot, ils le munissaient de branches. En passant devant les fermes dans lesquelles la récolte n'était pas terminée, ils chantaient un couplet un peu railleur. C'était là de leur part «faire le coq». Surtout, ils s'empressaient de se mettre à table, pour déguster des tartes ou des crêpes, et boire nombre de verres de genièvre.
A la Toussaint, les cloches sonnaient toutes les heures depuis la fin des vêpres jusqu'à minuit. Pendant tout ce temps, on restait chez soi. Les occupations ? La récitation du chapelet. La lecture d'un livre concernant les âmes du purgatoire. Le récit d'apparitions. Mais aussi la dégustation de crêpes. Les hommes évitaient de se rendre au café. Pensez donc ! Les âmes des trépassés ne venaient-elles pas voir ce qui s'y passait ?
Le lendemain, 2 novembre, une procession partie de l'église se dirigeait vers le cimetière. Là, le curé bénissait les tombes. Chacun allait prier près de l'endroit où les siens dormaient de leur dernier sommeil. Parfois d'ailleurs, les cadavres recevaient la visite des âmes, venues à eux sous la forme de feux follets ...
Le mercredi de la 3e semaine de l'Avent se célébrait la messe d'or. Elle était chantée pour les voyageurs. La légende assurait que ce jour-là, les rois mages s'étaient mis en route pour aller adorer l'Enfant divin à Bethléem. A cette occasion - qui l'eût cru ? - fréquentaient l'église des gens qu'on n'y rencontrait guère dans d'autres circonstances.
Pour la Noël, les ménagères confectionnaient de petits pains, présentant vaguement la forme d'un enfant emmailloté. C'étaient les «cougnous». Longtemps à l'avance, la maman en promettait à ses petits enfants, pour qu'ils soient bien sages. Le 24 décembre, au soir, elle en plaçait sous leur oreiller.
Après la messe de minuit avaient lieu des parties de cartes, dont l'enjeu était un cougnou.
A la Noël aussi, des tiges de certaines plantes étaient mises à tremper dans une bouteille d'eau, de façon à en obtenir des fleurs à Pâques.

Les fêtes particulières

A la fête du vieux papa, on le «bistoquait» (lui présentait un cadeau). On lui offrait, avec une sous-tasse, une tasse contenant du chocolat. On lui disait en wallon : «Je vous bistoque, ne pleurez pas. Tenez-vous bien, vous ne tomberez pas».
A la Saint-Grégoire, (le 12 mars) se plantaient les oignons. C'était aussi la fête des écoliers. En certains endroits, les enfants mettaient l'instituteur à la porte. Ils le faisaient rentrer, quand ils avaient fini les préparatifs d'une petite réjouissance. Cet amusement terminé, commençait leur congé. Ils allaient de maison en maison, tout en chantant. Ils obtenaient des oeufs, de la farine, du lard ... Ne recevaient-ils rien, ils souhaitaient à ces habitants avares que leurs oignons pourrissent : c'était, de leur part, une allusion manifeste à la plantation du jour.
Sainte Cathérine était fêtée le 25 novembre. Elle était la patronne des meuniers, des couturières, mais aussi des jeunes filles prolongées. Aussi s'élevaient dans les airs force couplets dont l'héroïne était la vieille Titine : son bonnet était placé de travers, la goutte lui pendait au nez, son haleine empestait l'alcool, son menton était sale, son appétit féroce...
Saint-Eloi, dont la solennité tombait le 1er décembre était le patron des forgerons. Ce jour-là, le maréchal ferrant recevait à dîner les clients fermiers.
Sainte Barbe avait été choisie comme protectrice des mineurs, des carriers, des ardoisiers et des maçons. Sa statue figurait souvent dans les carrières. Sa fête, le 4 décembre, donnait lieu à des réjouissances, surtout à Lonzée et à Mazy.
Le jour de la Saint-Nicolas (le 6 décembre), les enfants chantaient un couplet : «Au grand saint Nicolas, patron des écoliers - Apportez-moi des prunes, des noix dans mes souliers - Je serai toujours sage comme un mouton - Je dirai bien mes prières pour avoir des bonbons - Venez, venez, saint Nicolas. Tra la la !»
D'autres fêtes étaient encore célébrées, telle celle de saint Joseph, patron des menuisiers, le 19 mars.
La veille d'une de ces fêtes, on se rendait chez l'un ou l'autre. On le complimentait à cette occasion. On lui offrait un cadeau suspendu à un bâton : pipe, blague à tabac, pot, etc. C'étaient les «bistoques». On mangeait des gaufres, buvait de l'alcool et du café, chantait, jouait, évoquait des souvenirs, dansait, le tout jusqu'au petit matin.

IV. LA VIE RELIGIEUSE

Dans ces paragraphes, notre intention n'est pas de relever toutes les manifestations de la vie religieuse. Nous nous attacherons seulement à souligner certaines pratiques, souvent abusives, du culte des saints. Nous mentionnerons aussi l'une ou l'autre survivance du paganisme.

Le culte des saints guérisseurs

C'était surtout en faveur des enfants que l'on invoquait certains saints, réputés pour préserver ou guérir d'une maladie bien particulière.
Ainsi, pour lui fortifier les reins, on plongeait le bébé dans la fontaine de Saint-Germain, où parfois on jetait une chemise. Afin de lui enlever les coliques, ne convenait-il pas de faire célébrer une messe en l'honneur de saint Agrapau dans l'église de Walhain-Saint-Paul ? Faut-il lui faciliter la dentition ? Rien de tel que de lui passer au cou un petit ruban en velours bleu, bénit en l'honneur de saint Ghislain. S'agit-il de le préserver des convulsions ? Un collier de graines blanches, bénit dans l'un ou l'autre sanctuaire, fait l'affaire.
Mais on recourait parfois à des pseudo-remèdes, dans lesquels la religion n'avait rien à voir. Par exemple, on aidait l'enfant dans sa croissance, en plaçant sur sa poitrine un petit sac dans lequel étaient enfermés des cloportes, jusqu'à ce que pour ces bêtes mort s'ensuive !
Bien entendu, l'intercession de certains saints était aussi demandée, quand il s'agissait d'adultes.
On priait sainte Apolline, lorsqu'on souffrait des dents. La raison en était qu'à cette martyre toutes les dents avaient été arrachées par le bourreau. Aussi était-elle représentée portant une tenaille qui serrait une dent. On se procurait de l'eau bénite en son honneur dans l'église Saint-Loup à Namur. On l'invoquait aussi dans l'église du Finistère à Bruxelles, à la Sainte-Croix de Liège, en l'église Saint-Jean à Borgerhout près d'Anvers et ailleurs.
Mais pour calmer une rage de dents, d'autres moyens étaient d'usage courant. Telle la récitation de cinq Pater et de cinq Ave pendant la consécration de la messe. Telle aussi la mise en poche d'une nouvelle et minuscule pomme de terre ! Une dent tombait-elle ? Vite, on la jetait au cimetière. Ainsi la retrouverait-on au jugement dernier. Quelle singulière conception de la résurrection des corps supposait pareille pratique !
Mais d'autres que des saints étaient réputés comme guérisseurs. Certains hommes prétendaient détenir un fluide ou connaître des formules propres à combattre le mal sous tous ses aspects. Souffrait-on d'une brûlure ? On appelait un de ces charlatans. Il se penchait sur la partie blessée en donnant cet ordre : «Feu, perds ta chaleur, comme Judas perdit sa couleur le jour où il trahit son divin maître au jardin des Oliviers». Puis, il traçait un signe de croix et soufflait sur la brûlure. Parfois, il prescrivait au patient la récitation de cinq Pater et de cinq Ave, en l'honneur des cinq plaies de Notre-Seigneur. Comme on le voit, il ne manquait pas de mêler la piété à ses pratiques.
En cas de brûlure ou de zona, on utilisait aussi de l'huile de saint Laurent : on la bénissait dans l'église de Sombreffe, à Saint-Nicolas de Namur, dans la collégiale de Huy, à Saint-Gudule de Bruxelles.
Au reste, pour «clouer» une maladie, il suffisait de ficher un clou dans certains arbres. C'était le privilège du vieux peuplier, de 5 m 65 de circonférence à hauteur d'homme ; qui s'épanouissait jadis près de la ferme de Falnuée (Mazy).
On espérait également se défaire d'un mal, en le passant à un autre, au mépris des lois de la charité. Ainsi, éprouvait-on quelque douleur à la main ou au pied ? On touchait ce membre au moyen d'une pièce de monnaie. Puis, on jetait cet argent dans le bénitier de l'église. Celui qui le prenait héritait du mal ...

La sorcellerie

Au XIXe s., la croyance aux sorciers et aux sorcières était restée vivace. Que ne racontait-on pas sur ces personnes ? Elles voyageaient la nuit. Elles faisaient danser les tables et les chaises. Elles effrayaient les gens. Elles touchaient des enfants pour les faire s'étioler et mourir...
A la messe, ne tournaient-elles pas le dos au prêtre quand il invitait les fidèles à la prière ? Ne sortaient-elles pas de l'église les dernières ? Aussi les gens leur jouaient-ils de vilains tours. A la porte de l'édifice sacré, ils obstruaient le trou de la serrure avec de la terre bénite prise au cimetière. Ainsi, ils les empêchaient de s'échapper par cette ouverture. Telle était la coutume à Beuzet, lors des enterrements.
A Isnes et à Lonzée, on croyait aux «grimencieux» (grimaciers). Il s'agissait de sorciers, dont il y avait lieu de se méfier particulièrement. Parfois on les entendait mélanger les grains dans les greniers. Mais, à condition de ne pas être dérangés, ils remettaient tout en ordre pour le lendemain. Au contraire, alliez-vous voir ce qu'ils tramaient au-dessus de vos têtes ? Vous trouviez froment, seigle, avoine, toutes les céréales jetés pêle-mêle, au point qu'un tri en devenait impossible. Les «grimencieux» affectionnaient aussi de se revêtir d'un linceul. Ils se tenaient à quatre pattes. Ils portaient un masque, représentant une tête de mort munie de dents. Ils étaient encadrés de chandelles allumées. Pour mieux effrayer les passants, ils agitaient une sonnette.
De vielles femmes, aux paupières rouges, aux joues flasques, à l'allure excentrique, étaient facilement prises pour des sorcières. Il en advenait souvent de même des accoucheuses. C'était surtout pour écarter les sorcières que les gens plaçaient de petites croix de cire, bénites à la Chandeleur, aux chambranles des portes et sur la cheminée.

Les nutons

D'après la légende, les nutons sont des êtres à la fois humains et divins. De ce fait, ils s'apparentent aux héros de la mythologie. On les décrit comme petits, trapus, noirs, velus, mais généralement invisibles. Ils habitent les grottes, les trous de rocher. Génies bienfaisants, ils aiment à rendre service aux hommes. Aussi, quand on les attire au moyen d'une récompense consistant en pain, lait, lard ou autre nourriture, ils viennent la nuit raccommoder les marmites, aiguiser les faux, rentrer les récoltes ... Leurs femmes se font lavandières.
On assurait qu'il s'en trouvait à l'abbaye d'Argenton et au château de Golzinnes. De ce castel partait, disait-on un souterrain aboutissant à un pont jeté sur un fossé. Apportiez-vous à cet endroit du linge sale, sans oublier la gratification, vous pouviez le reprendre le lendemain blanchi et repassé !

Les chèvres d'or

En Wallonie, les gens appelaient volontiers les païens des Sarrasins. Un peu partout dans la partie septentrionale du centre de cette région s'élèvent des tours de Sarrasins: non seulement à Gembloux (la tour du Nord), mais à Hévillers (la tour de Bierbais), à Nil-Saint-Vincent (la tour del Vaux), à Corbais (la tour Griffon), etc. Il existe aussi des châteaux de Sarrasins (par exemple à Hastimoulin, Namur), des églises de Sarrasins (telles celles de Noiseux, d'Andenelle, et même Notre-Dame à Namur). Namur possède son quartier des Sarrasins (formé principalement par le rue Notre-Dame et la place Pied-du-Château). Des silex néolithiques sont parfois appelés pierres des Sarrasins : des scories de fer, «crayats» des Sarrasins. Le diverticulum romain d'Andenelle est qualifié de chemin des Sarrasins.
On racontait que jadis Golzinnes avait été une ville de Sarrasins. On colportait aussi le fait qu'au XVIes., la grosse cloche de Spy avait été enfouie par des voleurs dans une prairie à proximité du château. C'est en la cherchant qu'un habitant de Golzinnes, Henri-Joseph Massart, découvrit les fortifications dites des Sarrasins.
Or, la dame Gozinia aurait été païenne. Au moment de l'attaque de son camp, elle aurait enterré son idole, une chèvre d'or. Cette légende repose-t-elle sur quelque fait authentique ? Il n'est pas impossible qu'un missionnaire, de passage à Golzinnes, ait renversé une statue païenne et lui ait substitué une représentant saint Pierre.
La chèvre d'or hantait aussi les tumulus, tel celui de Penteville à Cortil, mais à proximité de Grand-Manil.
Au cours des invasions barbares marquant la fin de la période romaine dans notre pays, les habitants ont bien souvent caché leur fortune dans un endroit qu'ils estimaient sûr. Ils n'ont pas pu toujours la récupérer. La découverte de ces trésors des siècles plus tard a pu donner naissance à la légende de la chèvre d'or, symbolisant cet argent enfoui par les Sarrasins.
Pour s'emparer de la chèvre d'or, il faut découvrir sa cachette, en faisant appel à une personne née un dimanche matin au moment de l'élévation, et sachant manier la baguette de coudrier dont se servent les sourciers. L'endroit connu, il faut effectuer les recherches dans le plus grand silence, la nuit : l'éclairage ne peut se pratiquer qu'au moyen de chandelles bénites à la Chandeleur, car elles seules sont invisibles pour les démons.
Cependant, en certains endroits, la chèvre d'or sort de sa cachette à la Noël au cours de la messe de minuit et gambade dans les alentours. Mais personne n'a encore réussi à s'emparer d'elle.

L'influence de la lune

On croyait que la lune exerçait son influence dans divers domaines. Nous l'avons déjà signalé à propos du sexe de l'enfant à naître. On affirmait, d'autre part, qu'il fallait tuer le cochon et planter les betteraves destinées à fournir de la semence, lorsque la lune en était à son dernier quartier.

Les pronostics du temps

On pronostiquait le temps de l'année en fonction de celui des douze premiers jours de janvier, chacun d'eux correspondant au mois dont il portait le chiffre. Ainsi, voulait-on connaître le s'il ferait beau ou mauvais en avril ? Il suffisait de considérer s'il y avait du soleil, de la pluie, du vent, du brouillard ou de la neige le 4 janvier.